La rue Saint-Brice (qui est la mienne 
) possède une légende que je vais vous raconter, celle du « violoneux de Saint-Brice ».
Chose assez rare, cette légende remonte à une époque qui n'est pas très éloignée dans le passé En effet, la curieuse histoire dont il s'agit date de l'année 1725. Elle a été relatée à diverses reprises.
Le soir du 6 janvier, jour des Rois, des habitants de cette rue s'étaient réunis dans une cave de la maison de la famille Périer pour y passer une joyeuse veillée. De nombreux jeunes gens et jeunes filles étaient de la fête. On avait apporté des galettes et du vin provenant du champtier des Comtesses. La plupart de ces gens-là étaient des vignerons et ils entendaient bien faire de larges libations en l'honneur de l'Epiphanie.
A un certain moment, il fut question de danser. Tout le monde accepta, sauf Marie Doublet qui avait perdu sa mère six mois auparavant. Trois garçons et trois filles montèrent en ville afin de trouver un musicien.
Sur le boulevard Saint-Michel, ils croisèrent un homme d'aspect bizarre. Ils sonnèrent à la porte Saint-Michel, mais la sonnette était cassée, et ils ne purent réveiller le portier. Alors, l'inconnu les rejoignit et se mit à ricaner de façon étrange. Leur intention était de descendre vers la porte Morard et d'aller frapper au logis d'un ménétrier de la rue Coupe-Barbe. Mais ils s'aperçurent que le noctambule portait justement un violon... Une conversation s'engagea. Le violoneux proposa de faire un bal pendant deux ou trois heures sans réclamer la moindre rétribution. Il était pauvre, couchait habituellement dehors ; cela allait l'arranger fort bien.
Fiers de cette aubaine, les trois couples emmenèrent le musicien ambulant dans le cave. Là, il accepta de boire deux verres de vin, mais refusa de toucher à la galette, la « part de Dieu » qu'on lui offrait. Quoi qu'il tremblât de tous ses membres en entendant prononcer le nom de Dieu, on ne prêta aucune importance à son attitude et les danses commencèrent.
Hommes et femmes se mirent à tournoyer et à sauter comme si quelques chose d'infernal les eût électrisés. Leurs têtes heurtaient les voûtes. C'était une sarabande inimaginable. Le ménétrier maniait son archet de la main gauche et, de temps en temps, ricanait de manière effrayante. Il tapait du pied pour marquer la mesure et donnait des coups de tête qui soulevaient son chapeau.
Tout à coup, Marie Doublet, demeurée seule dans un coin, aperçut avec stupeur deux petites cornes sous le chapeau du violoneux. « C'est sûrement le diable » se dit la pauvre fille qui, sans prévenir personne, se rendit immédiatement au couvent des Capucins, où elle raconta ce qui se passait dans la cave. Le père Hilarion prit le rituel des exorcismes et, accompagné d'un moine, suivit Marie Doublet.
Descendu dans le bal, personne ne le vit, tellement il y avait de la poussière. Le Capucin lut les formules de conjuration et, quand il jeta de l'eau bénite, une fumée sulfureuse envahit la cave, alors qu'un cri de terreur se faisait entendre.
Le violoneux avait disparu. Marie Doublet tomba évanouie. Les danseurs eurent l'impression de se réveiller d'un cauchemar.
Avant de se retirer, le Père Hilarion prononça un petit discours et, le lendemain, l'abbé Bouvet, curé de la paroisse, commenta en chaire l'évènement diabolique, mettant en garde les jeunes contre les dangers de la danse et de la volupté.
Cette histoire se répandit bientôt dans toute la Beauce. On la mit en complaintes et en chansons
Texte issu de : Histoire des rues de Chartres, Roger GUILLOIS, L'Echo Republicain
Disponible à la médiathèque de Chartres
La cache finale se trouve ici : N 48° 26. ??? / E 001° 29. ???
