Photo prise en 1944 à Meylan.
A gauche : Ralph Meier (Robert Manier).
Au milieu : David Korn (Daniel Chapon).
A droite : Georges Burlon-Artaud, le fils des Justes
chez qui nous étions cachés. (Arch. D. Korn, DR).
Même site à côté de la maison des Justes
André et Angèle Burlon-Artaud. Mais en 2002.
A gauche : Ralph Meier(Robert Manier).
Au centre : David Korn (Daniel Chapon)
et à gauche : Georges Burlon-Artaud.
Notes :
(1) Plus particulièrement dans le contexte de la Shoah, les historiens ne retrouvent comme traces des vies massacrées que des fiches, des papiers pelures, des formulaires de diverses administrations, des registres, parfois des courriers, plus rarement encore des photos.
Aussi la moindre rencontre, chaque écoute, tout travail de mémoire avec des rescapés représentent-ils des moments comment dire ? De... "grâce", si les lecteurs le comprennent. Et souvent ces moments se prolongent-ils, s'intensifient-ils...
A titre personnel et pour ne citer que quelques noms, il y a, il y aura toujours Eva Fastag, les Grün, les Hanegbi-Praport, les Helfer, Rachel Kamienker et toute sa famille, les Koganovitsch, Rob Kremer, Jacques Lévy, les Papierbuch, les Peretz, les Reicher, Maxime Steinberg, les Szuster, Martine van Coevorden...
Et David Korn. Qu'il soit remercié pour avoir, en toute confiance, confié à ce blog quelques parcelles de ses souvenirs.
(2) OSE : l'Oeuvre de Secours aux Enfants a été créée en 1912 à St-Pétersbourg pour les juifs défavorisés. Au cours de la Seconde guerre mondiale, l'OSE est très courageusement intervenue dans des camps pour tenter d'en sortir des enfants promis à la mort. Dès 1943, cette Oeuvre organisa un réseau clandestin qui arracha à la Shoah plus de 5.000 enfants.
A la libération, l'OSE assura de par surcroît la prise en charge de plus de 2000 orphelins de parents victimes de l'antisémitisme.
Lire : Sabine Zeitoun, L'Oeuvre de Secours aux Enfants sous l'occupation en France, Ed. L'Harmattan, Paris, 2000, 221 p.
(3) Le mouvement des Eclaireuses - Eclaireurs Israélites de France remonte à 1923. En 1939, 2.500 membres se répartissaient entre Paris, l'Alsace-Lorraine, Lyon, Marseilles et l'Afrique du Nord.
(4) Citée dans la note 1, Rachel Kamienker ajoute : "La mère de Monsieur Korn était dans le même convoi que ma tante Yetti Teitelbaum-Kamienker partie aussi le 11 septembre 1942."
Témoignages recueillis par les Archives Municipales de Meylan
Après un certain temps, où David Korn a vécu en allant de l’avant, il s’est marié, a eu des enfants et a travaillé à partir de l’âge de 15 ans, il s’est dit qu’il était temps de rechercher les personnes qui l’avaient accueilli.
« Je me suis dit qu’il fallait que je retrouve la famille qui m’avait caché entre 1943 et 1945.
Je ne me rappelais pas grand-chose, j’avais entre 6 et 8 ans. Je me souvenais que la maison, à l’écart du village se situait dans la plaine de Grenoble, parce que je me rappelle le bruit et les explosions de 1944, lors de la Libération de la ville. Je me rappelais des prénoms, de Georges, André et Angèle, du nom de l’autre enfant « Ralph Meyer » mais je croyais qu’il s’agissait de son « nom de guerre ».
Donc, je me suis rapproché d’un organisme et pendant plusieurs années, j’ai cherché. En 2002, une personne m’a dit qu’elle pouvait me mettre en contact avec un homme appelé Ralph Meyer, et j’ai retrouvé l’autre enfant qui était caché avec moi. Etant plus grand moi, il avait d’autres souvenirs, le nom de famille « Burlon », la commune de Meylan.
Nous avons donc continué les recherches ».
Concernant le choix de faire reconnaître le couple Burlon-Artaud comme « Juste parmis les Nations », David Korn me dit :
« Pour faire reconnaître une personne comme « Juste » il faut établir un dossier. Il faut deux témoins qui puissent dire que la ou les personnes ont effectivement caché un ou plusieurs enfants pendant l’Occupation. Il a fallu un an pour faire aboutir cette enquête. Et en avril 2005, nous avons organisé une cérémonie. D’ordinaire, la cérémonie a lieu à la mairie de la ville où vivent les Justes, mais les Burlon-Artaud étant décédés, et enterrés à Rives-sur-Fure, la ville natale d’André et non dans la ville où avait eu lieu les événements, il a été décidé de faire la cérémonie à Charavines, commune proche de Rives, puis de nous rendre ensuite sur la tombe d’Angèle et d’André pour un dernier hommage.
Nous avons fait une belle cérémonie, et Georges et sa soeur Pierrette [née après la guerre], ont reçu le diplôme et la médaille du Yad Vashem, à titre posthume.
Depuis cette période je suis en contact avec les deux, et c'est fantastique. Il a fallu plus de 58 ans avant de nous retrouver ».
Diplôme des Justes (G.Burlon)
André et Angèle (don H. Pras)
Georges Burlon-Artaud ne vit plus à Meylan. Contacté d’abord par téléphone puis rencontré, voilà ce qu’il a transmis aux Archives Municipales de Meylan :
« J’ai vécu à Meylan de 1933 à 1951. Quand je suis arrivé je n’avais que quelques mois.
Mon père était natif de Rives-sur-Fure et ma mère, quoique née à Grenoble, avait vécu à Renage (à côté de Rives). Mes parents avaient pratiqué de nombreux métiers, ils avaient travaillé en usine, « fait des saisons » notamment dans le Vercors, et en 1933, ils se sont installés comme homme et femme d’entretien dans une propriété de Meylan. Il faut dire que les propriétaires des clos ne vivaient pas toute l’année à Meylan ; ils avaient un appartement à Grenoble et ne venaient à la maison de campagne que quelques mois par an. Mes parents ont donc été les fermiers, jardiniers, bonne et cuisiniers d’une première puis d’une deuxième famille à Meylan pendant quelques années.
Ils continuaient à « faire des saisons » dans l’hôtellerie, dans le Vercors, et pendant ce temps, je restais chez ma grand-mère Vial, la maman de maman, à Meylan.
Quelques mois avant la guerre, mes parents se sont installés en location, comme maraîchers dans la plaine, chemin de la Taillat. Ils cultivaient des légumes qu’ils allaient vendre sur les marchés de Grenoble, élevaient quelques lapins et des poules. Sans doute nous n’étions pas riches, comme la plupart de nos voisins d’ailleurs, mais nous avions de quoi nous nourrir ».
Mes parents étaient très appréciés. Mon père rendait des services aux voisins, lors des récoltes, des moissons ou autre. L’entraide existait.
Les quelques maisons autour de la maison étaient occupées par des fermiers.
En 1939, mon père a été mobilisé. Il est allé dans les Hautes-Alpes. Il est rentré en 1940.
« Je ne sais pas comment mes parents sont entrés en contact avec l’association qui cachait des enfants. Je ne me rappelle pas leur arrivée. Je sais que c’est mon père qui a insisté pour accueillir les garçons à la maison. Après quand ils étaient là, c’est surtout ma mère qui s’occupait d’eux. Mes parents n’étaient pas particulièrement croyants.
Quand les deux enfants sont arrivés en 1943, je les ai tout de suite considérés comme des frères. »
« Pour avoir de l’argent, mes parents faisait des « extras » chez les autres pour les repas de fêtes, comme les mariages, les communions. Ils étaient bons cuisiniers. Je me rappelle une fois, on me l’a raconté parce que moi je ne me rendais pas compte à l’époque, donc, une fois pendant la guerre, mes parents préparaient un repas dans une maison au dessus du Clos des Capucins, dans le Haut-Meylan. Ils étaient en train de préparer un grand repas quand un ami vient les prévenir que les Allemands patrouillaient dans la plaine. Mes parents ont eu très peur et sans plus attendre, ils sont descendus à pied jusqu’à la maison pour nous dire d’être sage et de rester dans la maison. Rassurés, ils sont remontés jusqu’à la cuisine. En arrivant un gigot avait disparu. Ils étaient embêtés. Sans doute un maraudeur. Les gens avaient faim ».
« Tous les jours, nous montions à l’école à pied. On remontait le chemin de la Taillat jusqu’à la gare du tramway [aujourd’hui : le rond-point du lycée], puis on prenait le chemin qui s’appelle aujourd’hui chemin de l’ancienne mairie. L’école était à la place de la bibliothèque du Haut-Meylan. ça faisait une trotte. Ma grand-mère habitait dans le village. Elle aussi s’occupait de nous ».
« Il y avait parfois des patrouilles d’Allemands, je ne m’en souviens pas bien ».
« Je ne me rappelle pas ce que nous disions au sujet de l’arrivée des garçons à la maison. Etaient-ils réfugiés, des cousins, des amis, je ne sais plus. Ils ne sont pas inscrits sur le registre des cartes de ravitaillement car il ne fallait pas attirer l’attention sur eux. L’association qui les avait placés chez nous donnait une petite somme d’argent à mes parents. Avec les légumes, les lapins et les poules, nous avions de quoi nous nourrir ».
« La Libération de Grenoble et celle de Meylan, je m’en souviens. C’était en été. Avec mon père on est parti du bas du chemin de la Taillat avec les voisins et on est remonté jusqu’à la gare du tramway en faisant un défilé. C’était la joie ».
« Tout de suite après la Libération, l’association est venue chercher Robert / Ralph, le garçon qui avait mon âge. Daniel / David est allé chez ma grand-mère, et mes parents et moi nous sommes partis chez un oncle à Montargis [dans le Loiret, à 120 km au sud de Paris]. Quand on est revenu, Daniel / David était parti. Je ne sais pas pourquoi nous sommes partis ».
« Après la guerre, mes parents ont laissé la vie de maraîchers. Ma mère a pris en gérance le café des Cyclotouristes, à la Détourbe, à côté de Montbonnot, et mon père a été facteur puis représentant de commerce.
En 1947, mes parents ont eu une petite fille, Pierrette. Et en 1951, nous sommes partis de Meylan. Mes parents ont travaillé dans l’hôtellerie puis mon père a travaillé en usine. Ma sœur est restée chez ma grand-mère.
Nous avions des tantes à Meylan, c’est peut-être pour cela que mes parents se sont installés à Meylan, auprès de ma grand-mère qui vivait près de mes tantes ».
« Nous n’avons plus parlé de cette période. Parfois, ma mère disait bien « j’espère qu’ils ont pu retrouver leurs parents », je me disais qu’elle aurait aimé les revoir, mais cela n’a pas été possible. Ils sont morts, à Rives-sur-Fure.
En 2002, quand j’ai reçu un appel de Belgique, j’ai tout de suite reconnu Daniel / David. Nous étions très émus. Je lui ai appris le décès de mes parents et la naissance de ma sœur. Depuis, nous nous contactons souvent. »
« Je n’en sais pas s’il y avait d’autres enfants cachés à Meylan ».
Tableau peint en 1950 par un locataire de la famille Achard. Le peintre s’est installé sur le pont où les enfants se sont fait photographier. (Dont Achard). La maison est derrière nous.