Dans la série des Glises : Les Eparres
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SituĂ©e au sud-est du territoire de la CAPI, la commune Les Ăparres prĂ©sente la particularitĂ© dâĂȘtre implantĂ©e sur deux zones gĂ©ographiques en relation avec son histoire.
Une partie basse implantĂ©e en bordure de RD 1085, lieu dâactivitĂ© industrielle, et une partie haute sur les plateaux, lieu dâactivitĂ© agricole.
La commune offre un espace nature attrayant qui fait le plaisir des randonneurs.
(source capi.fr)
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Mais connaissez-vous la vĂ©ritable histoire de cette petite commune dâĂ peine plus de mille personnes en 2020 ?
Concentrez-vous, la voici.
Nous sommes Ă lâaube de la civilisation. Il y a de cela assez longtemps, voire plutĂŽt longtemps. Mais il faut dire en prĂ©ambule que tout Ă©tant relatif, et trop souvent anthropocentrĂ©, câĂ©tait finalement il y a un rien de temps au regard de lâhistoire de cette terre.
Il y a quelques temps, donc, Ă lâheure oĂč les premiers humanoĂŻdes rĂ©sidents nâavaient pas encore de montre, vivaient ici une trentaine dâĂąmes regroupĂ©es pour des raisons pratiques en un village qui nâavait pas de nom.
Leur chef, Jean-Louis, car il en fallait un, Ă©tait le plus costaud du groupe. Il nâavait pas assis son autoritĂ© sur un dĂ©bat contradictoire avec les autres candidats, vous vous en doutez. Son pouvoir rĂ©sidait dans son talent Ă faire la toupie avec un gros tronc dâarbre plus ou moins taillĂ©. Ainsi, en tournoyant, aucun concurrent ne parvenait Ă lâatteindre et il finissait seul debout au milieu des dĂ©batteurs Ă©parpillĂ©s. Rapidement les autres arrĂȘtĂšrent de le contredire et acceptĂšrent son autoritĂ©.
Meredith Ă©tait la fille de Jean-Louis. Elle passait ses journĂ©es Ă parcourir le plateau Ă la recherche de trucs Ă manger : de belles, grosses et juteuses baies, des herbes grasses et savoureuses, des champignons et dâautres denrĂ©es encore qui nourrissaient le village. Elle Ă©tait championne de nourissage. En plus de ses compĂ©tences de ramasseuse, Meredith Ă©levait, Ă sa façon, quelques bĂȘtes Ă laine et Ă pis pour leurs viandes, leurs laits et leurs peaux. Elle faisait dâexcellents fromages quâelle aromatisait parfois avec quelques herbes. Cette idĂ©e lui avait Ă©tĂ© soufflĂ©e une fois par un jeune du village avec qui⊠mais je digresse.
Reconnue par les siens et jalousĂ©e par le village dâen bas, cette fille Ă©tait en plus une force de la nature. Comme son pĂšre. Lorsquâelle beuglait aprĂšs ses chĂšvres ou ses vaches, câĂ©tait tout le village qui sâimmobilisait. Elle avait la force de plusieurs hommes adultes et les Ă©paules Ă se tourner pour passer les portes. Mais elle Ă©tait aussi plutĂŽt jolie, dans son genre, et les garçons les plus courageux lui auraient bien couru aprĂšs sâils ne craignaient pas de la rattraper et de voir ce que cela ferait.
De son cĂŽtĂ©, Jeanne, la mĂšre de Meredith, femme de Jean-Louis, avait pris le parti, Ă dĂ©faut dâavoir un mari doux et attentionnĂ© et une fille dĂ©vouĂ©e et un peu chochotte, de tenir le rĂŽle de sage du village.
Tout le monde savait de prĂšs ou de loin Ă quoi ressemblait la colĂšre du chef et son tourniquet infernal. Par consĂ©quent, en cas de problĂšme, on prĂ©fĂ©rait interroger Jeanne. Elle savait vous recevoir Jeanne. Toujours souriante, elle vous prĂ©parait une bonne tasse dâherbes en fonction du problĂšme. CâĂ©tait Meredith qui classait les plantes selon les problĂšmes. A toutes les deux elles avaient inventĂ© une mĂ©decine locale de haut niveau. MĂ©decine aujourdâhui un peu dĂ©voyĂ©e par leur lointaine descendance Ă©parpillĂ©e vers lâouest Ă quelques kilomĂštres. Mais ce nâest pas de cela que lâon parle ici.
Jeanne savait recevoir. Et elle savait Ă©couter. Bon, pour plus de calme, elle sâĂ©tait installĂ©e dans la combe, une petite chaumiĂšre cossue, loin du village. Elle Ă©tait persuadĂ©e que le chemin entre les deux ferait grand bien Ă son affaire, tant pour apaiser les passions que pour Ă©viter un flux permanent de commĂšres.
Elle se tenait dans son grand fauteuil recouvert de peaux, ses mains ridĂ©es mais belles encore entouraient sa tasse fumante. Elle restait silencieuse. Parfois elle fermait les yeux pour mieux ressentir les choses, ou piquer un petit roupillon discret. On lui disait tout. Elle Ă©coutait, et dâune petite phrase, de quelques mots, rĂ©glait la plupart des problĂšmes. Elle savait plus que tous ce quâil se passait au village.
Seulement voici quâun jour, elle ne sut ni quoi dire ni quoi penser. Lâhistoire quâon venait de lui raconter Ă©tait sorcellerie. Horrible et terrifiante. Si les Ă©panchements des villageois Ă©taient parfois un peu scabreux, ce rĂ©cit la terrifia.
CâĂ©tait Niels qui avait tout racontĂ©. Niels avait lâĂąge de sa fille. Il se pourrait mĂȘme quâil y ait eu une histoire entre eux, Ă ce que raconte la voisine de Niels qui jure les avoir vu ensemble, mais qui jure comme elle respire et que personne nâĂ©coute, sauf Jeanne. Niels raconta donc tout dans le dĂ©tail, ce quâil avait vu, ce quâil sâĂ©tait passĂ©. Lâindicible.
CâĂ©tait au lever du jour, il se prĂ©parait Ă aller Ă la chasse avec son arc et quelques flĂšches, plus motivĂ© que jamais car il nâavait pas eu le moindre lapin depuis plusieurs jours. Il Ă©tait donc bien rĂ©veillĂ©.
Dans le village, vers le grand chĂȘne, il y avait deux cousins qui se chamaillaient mais tout en restant le plus discrets possible. On voyait quâils Ă©taient fort en colĂšre, ou en panique, mais Ă messes basses. Enfin comme la religion nâĂ©tait pas encore comme on la connait aujourdâhui on ne parlait pas de messes alors, mais lâidĂ©e est lĂ , ils chuchotaient forts tellement pris dans le tourbillon de leur affaire.
A bien y regarder, Niels se rendit compte quâils avaient tous deux du sang de partout. Sur le visage, les mains les chaussures et tout ce qui se trouve entre. MouchetĂ©s. Il sentit quâil sâagissait de quelque chose de grave. Il se cacha derriĂšre le menhir local quand il vit quâun homme sombre sâapprocha prudemment : « ça va les gars ? » Le plus petit sorti une besace et sâapprĂȘta Ă lâouvrir. Il avait le regard dâun fou. Lâautre le stoppa dans son geste en lui prenant le poignet. « Noooon, tu as vu ce que cela a fait Ă Meredith, nâen rajoute pas ! »
Mais il parvint Ă ouvrir son sac.
Niels ne dut son salut quâĂ la protection de la pierre. Le reste du village fut comme soufflĂ©.
Au pied du grand chĂȘne dont il ne reste plus rien, un trou. Depuis une mare. Et sur le plateau dĂ©sormais aride, la vie mis assez longtemps Ă revenir.
Aujourdâhui, on raconte que ce lieu porte le nom des Ă©parres car câest ce quâil est arrivĂ© au village :  épartit aux quatre vents.
Niels et Jeanne ont refait leur vie ensemble et nul ne sait, Ă part en fait quelques-uns, mais câest encore une autre histoire, ce quâils sont devenus.
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