Câest lâhistoire dâun type, qui est chauffeur routier, et qui balade un trente tonnes. On est le 24 dĂ©cembre au soir, et il rentre chez lui.
Enfin, il rentre chez lui... Il nâa pas vraiment de chez lui oĂč rentrer parce quâil vit seul, son camion est vide, il nâest pas spĂ©cialement pressĂ© de rentrer...
Alors il est pris dâune sorte de dĂ©sir de retarder le moment oĂč il va se retrouver tout seul chez lui, devant sa tĂ©lĂ© ou devant sa bouteille de vin rouge, et comme il est en pleine Sologne, il emprunte une toute petite route, en se disant :
"Tiens, on va voir si jâarrive Ă me dĂ©patouiller de cette petite route avec mon trente tonnes". Au bout de quelques kilomĂštres, comme la Sologne câest quand mĂȘme trĂšs boueux, Ă lâĂ©poque de NoĂ«l, il sâembourbe, il glisse dans le fossĂ©, et son camion est coincĂ©.
La sâen veut Ă©videment beaucoup dâavoir fait ça, mais il lâa cherchĂ©, et il se dit
« Pfff, aprĂšs tout, passer la nuit de NoĂ«l devant sa tĂ©lĂ© ou devant sa bouteille de vin rouge, ou bien la passer dans la cabine de mon camion, câest pareil. »
Il branche le chauffage, il grimpe sur la couchette quâil y a au dessus de la banquette de sa cabine, il sâallonge, et il sâendort. Ăa fait un petit moment quâil dort, quand il entend frapper Ă la vitre de son camion.
Il ouvre un Ćil, il ne distingue pas trĂšs bien, il voit une lumiĂšre Ă lâextĂ©rieur.
Il descend de la banquette, ouvre la fenĂȘtre, et se trouve face Ă une superbe jeune femme blonde, en manteau de fourrure, qui le regarde de ses grands yeux et qui lui dit :
- Votre camion a lâair dâĂȘtre embourbĂ©, vous allez pas passer la nuit ici, quand mĂȘme ?
- Ben, jâsuis bien obligĂ©, parce que jâvais pas faire dĂ©ranger des gens pour venir me tirer de lĂ cette nuit, câest le soir de NoĂ«l, yâa personne, jâvais passer la nuit ici, et demain, je demanderai de lâaide »
Et elle :
- Mais moi, je ne vous laisse pas dormir ici tout seul, passer la nuit ici tout seul dans votre camion ! Je vais vous emmener chez moi".
Et lui ;
- Eh bien Ă©coutez, vous ĂȘtes trĂšs trĂšs gentille, ça me touche beaucoup, madame, mais faut pas que ça vous dĂ©range..."
- Mais ça me dĂ©range pas du tout, vous savez, jâai de la place Ă la maison, yâa aucun problĂšme.
Le routier prend sa veste, il descend, il referme le camion et il la suit, elle est absolument superbe, et elle lâemmĂšne vers une voiture, et il dĂ©couvre que la voiture est une Porsche noire, magnifique...
Elle lui ouvre la porte de la Porsche, il monte dans la Porsche, il sâassoit Ă cĂŽtĂ© de cette femme, de qui Ă©mane un parfum absolument capiteux, et la voilĂ qui lâemmĂšne, sur cette petite route de Sologne, qui prend des routes de plus en plus petites et qui finit par arriver devant un petit manoir superbe, complĂštement Ă©clairĂ©.
Elle le fait descendre de voiture, elle lâinvite Ă entrer, elle lui dit
- Excusez-moi, comme câest le soir de NoĂ«l, Ă©videmment ma femme de mĂ©nage nâest pas lĂ , mais vous savez, il y a des choses dans le frigo, je vais pouvoir vous donner Ă manger, parce que jâimagine que vous avez pas dĂźnĂ©...
Et lui :
- Non, non, jâai pas dĂźnĂ©, non, bien sĂ»r, mais il faut pas que je vous dĂ©range, quand mĂȘme, madame..
-Mais vous ne me dĂ©rangez pas, dâailleurs vous voyez, moi aussi je suis seule ce soir, au moins, on va passer la soirĂ©e tous les deux, Ă bavarder un peu plutĂŽt que de rester chacun seul.
Il nâen croit toujours pas ses yeux, elle le fait entrer, elle le fait asseoir, elle lui propose Ă boire, elle lui offre Ă boire quelque chose quâil a pas bu depuis longtemps, et puis elle dit « Oh, allez, câest le soir de NoĂ«l, on va se faire plaisir », elle sort une terrine de foie gras, une bouteille de champagne, du saumon, elle met la table, elle lui offre un repas comme il nâen a jamais fait de sa vie.
Et aprĂšs ce repas inoubliable, elle dit : « Bon, maintenant je pense quâil vaut mieux que vous alliez vous reposer, que vous alliez vous coucher, parce quâil se fait tard, maintenant... » Et elle le fait monter dans une des chambres du petit manoir, elle lui ouvre la porte, câest une chambre dâamis absolument splendide. Il dit : " Mais, vous ĂȘtes sĂ»re que vous voulez que je dorme ici ?"
-Mais bien sĂ»r que je veux que vous dormiez ici, il nây a pas de problĂšme. Et dâailleurs dans ce placard, vous trouverez des pyjamas, qui sont probablement Ă votre taille... La salle de bains est juste Ă cĂŽtĂ©, servez-vous, utilisez absolument tout ce dont vous avez besoin, vous ĂȘtes mon invitĂ©.
Il sâexĂ©cute, elle repart, elle le laisse. Il trouve un pyjama de soie, il prend une douche, il se bichonne comme il sâest jamais bichonnĂ© de sa vie, et il se glisse dans les draps du lit somptueux quâil y a dans cette chambre merveilleuse. Et ça fait pas trois minutes quâil est dans le lit quâil entend frapper Ă la porte.
-Euh... Entrez ?
La porte sâouvre, et dans la lumiĂšre tamisĂ©e du couloir, il voit son hĂŽtesse, en dĂ©shabillĂ© transparent, se tenir sur le seuil. Et elle lui dit "Je ne vous dĂ©range pas ?"
Et lui
-"Non, non madame, vous me dérangez pas du tout"
-Je me suis dit que vous vous sentiez peut-ĂȘtre un peu seul dans ce grand lit...
-Ăvidemment, jâai pas lâhabitude de dormir dans un lit aussi grand, je... oui, enfin, oui, bien sĂ»r, je me sens un peu seul, mais dĂ©jĂ vous mâavez accordĂ© lâhospitalitĂ©, je devrais ĂȘtre en train de dormir dans la cabine de mon camion..."
Et elle poursuit : « Moi aussi je me sens un petit peu seule dans mon lit, et je me suis dit que peut-ĂȘtre... on pourrait se tenir compagnie... »
Et lui : "Mais écoutez, madame, bien sûr, faites comme chez vous".
Elle referme la porte, elle se glisse jusquâau lit, elle soulĂšve les draps, elle se met Ă cĂŽtĂ© de lui sur le bord, elle dit "Mais, lĂ vous ĂȘtes au milieu du lit, est-ce que vous pourriez me laisser un tout petit peu de place ?"
Et il se pousse, bien sûr.
-Est-ce que vous pourriez vous pousser un tout petit peu encore, un tout petit peu, un tout petit peu...
Et il se pousse encore un peu.
-Oui, encore un tout petit peu...
Il se pousse encore un peu, et il tombe... dans la cabine de son camion.
Evidemment, il se fait une bosse, parce quâil cogne le volant, en tombant. Et il est malheureux, parce que câĂ©tait un beau rĂȘve. Et il se dit "AprĂšs tout, jâaurais pu passer une nuit de NoĂ«l devant ma tĂ©lĂ©vision ou devant ma bouteille de vin rouge, et lĂ jâai fait un beau rĂȘve".
Il regarde lâheure, il est trois heures du matin.
Il soupire.
Il remonte sur sa couchette, et il sâendort.
Et ça fait pas trois minutes quâil dort, quand il entend frapper Ă la fenĂȘtre de son camion. Il ouvre un Ćil, et il voit une lumiĂšre Ă lâextĂ©rieur. Il descend sur la banquette, il ouvre la fenĂȘtre, et il se trouve devant une superbe femme brune, qui lui dit "Votre camion est embourbĂ©, vous nâallez pas passer la nuit comme ça, sur la route, dans le froid ? Venez, je vous invite Ă dormir Ă la maison..."
Moral :
Il nâest pas toujours possible de passer un Joyeux NoĂ«l, mais je vous souhaite, Ă toutes et Ă tous, de beaux rĂȘves.