Le Grand Nord est une terre de neige et de glace, figée tout au long de l’année. Ici, l’hiver ne s’en va jamais : il s’étire, s’enracine, s’installe jusque dans les pierres. Le vent souffle sans relâche, soulevant des nuages de poudre blanche qui avalent l’horizon. Parfois, une tempête de neige se lève sans prévenir, effaçant tout — les sentiers, les arbres, les souvenirs. C’est un pays que le froid a conquis depuis toujours.
Deux trappistes sillonnent ces étendues gelées. Ils marchent lentement, raquettes aux pieds, silhouettes sombres dans la blancheur du monde. Leurs manteaux sont raides de givre, leurs barbes pleines de cristaux de glace. Ils avancent sans parler, le souffle court, les yeux plissés contre le vent. Sous leurs pas, la neige gémit. À chaque rafale, leurs traces s’effacent, comme si la terre refusait de garder mémoire de leur passage.
Ils cherchent les vestiges du passé — les ruines d’un ancien poste de chasse, un campement oublié, des outils enfouis sous la glace. Tout ce qui pourrait prouver que d’autres ont vécu ici, autrefois. Mais le Grand Nord ne livre rien facilement. Il garde ses secrets sous des couches de neige, sous la morsure du froid.
Non loin de là, l’un des deux trappistes vit dans une cabane de rondins à demi ensevelie sous la poudreuse. La fumée de son poêle monte en un mince filet gris, aussitôt dispersé par le vent. Ses murs craquent la nuit, comme s’ils gelaient de l’intérieur. Il connaît le froid comme un compagnon silencieux — une présence qui ne le quitte jamais, même dans son sommeil.